J’aime bien raconter, non sans une certaine fierté, l’excellent travail de mon père, Raymond Bouthier, lorsqu’il était attaché du ministère de la Santé et détaché en tant que directeur d’un hôpital de 320 lits à Argentan (Orne).
Lors de son arrivée, au début des années 60, l’hôpital n’avait pas de chirurgien à temps plein. Les opérations et le suivi des patients du service de chirurgie étaient assurés par deux chirurgiens à temps partiel qui étaient par ailleurs propriétaires d’une clinique dans la même ville.
Exerçant dans les deux établissements, il leur était facile, souvent avec l’aide des médecins de la région, d’opérer un tri des malades : les « rentables » étaient dirigée vers la clinique et les « non-rentables » vers l’hôpital public.
Cette notion de « rentable » et « non-rentable » en parlant de malades est généralement méconnue. Elle est pourtant simple et repose sur le fait qu’on peut classer les personnes hospitalisées en 2 catégories:
– celles qui nécessiteront peu d’opérations mais une longue hospitalisation ;
– celles qui nécessiteront beaucoup d’opérations mais une hospitalisation relativement courte.
Sachant que sur le prix de journée (pour un jour d’hospitalisation), même si celui-ci est élevé, un établissement hospitalier est déficitaire, il est facile de comprendre que les patients rentables appartiennent à la 2e catégorie.
Pour rendre l’hôpital excédentaire, il apparaissait évident qu’il fallait que cesse ce tri des malades qui entraînait un déficit chronique de l’établissement. Et de cette constatation découlait tout naturellement qu’il fallait un chirurgien à temps plein à l’hôpital public.
C’est ce que mon père s’est assigné comme mission au cours des années où lui avait été confiée la gestion de l’hôpital d’Argentan.
Pour lui, bien que fonctionnaire, il semblait normal qu’un hôpital soit géré comme un établissement privé, c’est à dire avec la recherche, sinon d’un excédent budgétaire, au moins d’un équilibre des comptes, et surtout pas un déficit chronique, ceci bien entendu dans le strict respect de la mission de service public dévolue à un établissement… public.
Pour justifier cette démarche auprès du conseil d’administration et des autorités de tutelle, il a fallu montrer qu’il existait un besoin de la population et que le statut des chirurgiens exerçant dans le public tout en étant propriétaires d’une clinique privée entravait, de fait, la libre concurrence entre les établissements. Une consultation du registre du commerce a suffi à prouver le statut juridique de la clinique et à trouver les noms des gestionnaires. Quant à l’existence d’un besoin de la population, elle a été argumentée de différentes manières dont je ne me souviens plus très bien à part le fait que sont survenus quelques scandales de malades déplacés de l’hôpital à la clinique pour une opération puis revenus ensuite à l’hôpital pour terminer leur séjour. Un comble!
Je passe sur les détails du début de l’installation du chirurgien et de son anesthésiste (sans lequel les opérations sont impossibles) mais disons simplement que beaucoup d’efforts ont été déployés pour mettre les bâtons dans les roues du nouveau système. Je vous laisse deviner qui était derrière ces manoeuvres…
Toujours est-il que pendant quelque temps, sans anesthésiste, le nouveau chirurgien n’a pas pu exercer. Sans se démonter, il en a alors profité pour battre la campagne et aller se présenter à tous les médecins généralistes du secteur pour leur expliquer son rôle et beaucoup étaient d’ailleurs ravis de ne plus dépendre d’un monopole de la chirurgie.
Dès ses premières opérations, le nouveau chirurgien s’est fait remarquer par des interventions réussies sur des patients que ses collègues avaient refusé d’opérer prétextant que leur cas était désespéré! La nouvelle de ses succès se sont ainsi rapidement diffusées dans la population locale, entraînant un nouvel afflux de patients à l’hôpital public.
Il faut aussi dire que ce nouveau chirurgien n’était pas n’importe qui. Il s’agissait de l’ancien chef du service de chirurgie de l’hôpital universitaire de Beyrouth. Un homme de grande expérience et très réputé pour sa dextérité!
Le service de chirurgie s’est donc considérablement développé et l’on peut dire que le service public a été amélioré puisque les patients étaient mieux soignés et plus rapidement.
Au cours des dix années de gestion de mon père, l’hôpital d’Argentan a pu équilibrer son budget et même devenir légèrement excédentaire sans pour autant réduire le personnel puisque, dans le même temps, le nombre d’employés a été multiplié par 3. Or, on sait que le poste budgétaire du personnel représente plus de 70 % du budget d’un établissement public. Ce sont les recettes apportées par les opérations et d’autres améliorations de la gestion que je raconterai dans un autre article qui ont permis d’enrayer le déficit budgétaire.
L’hôpital d’Argentan a donc été dans les années 60 le seul établissement hospitalier public de France a avoir un budget excédentaire.
Et dans le même temps, mon père était le plus mal noté du ministère de la Santé!
Cherchez l’erreur! 🙁
à suivre…
Voir » Un attaché détaché 2 «